Publié dans l'Humanité le 30/03/2010


Legris prend l’oseille et se tire de Keyria
Contrôlé par une figure du petit monde patronal, le groupe Legris Industrie se déleste à bon compte d’un plan de 600 licenciements dans la plus grosse de ses filiales.

Comment un fleuron industriel français a-t-il pu être saccagé en moins de trois ans par ceux-là qui, dans les cénacles du patronat, prétendent justement lutter contre la désindustrialisation  ? Chez Keyria (ex-Ceric), la plus grosse des filiales de Legris Industrie (2 000 salariés, dont 900 en France), on se le demande, avec colère et indignation  : contrôlé par Pierre-Yves Legris et Yvon Jacob, figure du petit monde patronal (homme clé de l’« ancienne » et de la « nouvelle » UIMM, concurrent malheureux de Laurence Parisot à la tête du Medef), 75e fortune du pays (400 millions d’euros, + 33,3 % par rapport à 2008) selon le mensuel Challenges, Legris Industrie a placé en cessation de paiement le leader mondial de l’ingénierie pour la construction d’usines de terre cuite, trois ans seulement après l’avoir acheté à ses fondateurs via une LBO, une opération financière faisant supporter toute la charge de l’endettement à l’entreprise elle-même. Et aujourd’hui, c’est ce groupe qui se déleste aux frais de l’État d’un plan de 600 licenciements dans une dizaine de sites répartis sur tout le territoire.
Hier matin, les salariés du siège de Keyria ont manifesté dans Paris pour dénoncer les conditions scandaleuses, voire carrément douteuses, de cette faillite. Alors que Legris invoque, pour expliquer la situation, des pertes de marchés liées à la crise financière et immobilière courant 2008-2009, les cadres membres, faute d’organisations syndicales, d’un Collectif Keyria France, pointent, eux, la logique financière pure et simple qui a étranglé leurs entreprises. « Quand ils ont décidé de partir, les fondateurs de l’entreprise ont mis du temps pour trouver des repreneurs, se souvient Thomas, un des commerciaux de Keyria. Ils voulaient échapper aux prédateurs, aux logiques financières, Legris Industrie est arrivé avec ses promesses et, trois ans plus tard, ce sont les seules logiques financières qui nous ont plombés… » Selon un rapport d’expertise, remis au comité d’entreprise, que l’Humanité a pu consulter, Legris Industrie a profité du marasme économique pour siphonner les caisses de sa filiale et se verser près de 189 millions d’euros de dividendes. Au bout du compte, le groupe a lâché complètement ses sites français, laissés exsangues sans trésorerie ni réserves ni garanties pour faire face à la crise. « Legris, c’est pas fini, tu vas devoir payer le prix », ont promis les salariés, sous les fenêtres de leur ancienne maison mère. Sans succès, jusqu’ici  ; pas sans fièvre.