Legris Industries. «On a traversé une tempête»


Sur le site Le journal des Entreprises paru le 08/10/10


100M€ de pertes en 2009. Le groupe rennais Legris Industries n'avait encore jamais vécu un tel exercice. En exclusivité pour Le Journal des Entreprises, Erwan Taton revient sur ce qu'il décrit comme une "annus horribilis". Disparition de Keyria, création de la nouvelle filiale Keller, projets d'acquisitions... Le président du directoire de Legris Industries revient sur tous les sujets sans les éviter.
Propos recueillis par Philippe Créhange

Dans le rapport annuel 2009 de Legris Industries, vous évoquez une "annus horribilis" pour le groupe. Le mot n'est-il pas un peu fort ?
L'expression est forte mais elle est directement en rapport avec l'impact de la crise sur le groupe. C'est notamment un niveau de perte historique, d'une ampleur très importante. C'est du jamais vu du côté de Legris Industries.

100M€ de pertes en 2009, dont 85% générés par votre ex-filiale Keyria. Comment expliquez-vous la chute vertigineuse de cette activité d'ingénierie dans la terre cuite?
Le métier de Keyria était de concevoir des usines de briques ou de tuiles, avec de grands fabricants pour clients. Ce marché a souffert de la baisse importante du marché de l'immobilier. La chute de la construction a engendré la chute de la demande de matériaux. Mais il y a une deuxième explication. Ce marché, ce sont des commandes importantes en matière de montants d'investissements. Un projet, c'est entre 10 et 25M€. Les clients n'investissent donc pas uniquement sur leurs fonds propres. Ils ont des besoins de financements bancaires. Or dans la crise que nous venons de traverser, ils ne trouvaient pas de financement.

Keyria a-t-il fait preuve de manque d'anticipation?
Keyria a été repris fin 2006 par Legris Industries. C'était une entreprise qui était loin d'être optimale en matière d'organisation. Elle s'était constituée par des rachats au fil des ans. Parallèlement, la conjoncture en 2007 a été extrêmement favorable, d'où un pic de chiffre d'affaires en 2008. Résultat, l'entreprise s'est certainement focalisée sur son niveau d'activité très élevé plus qu'à se réorganiser en profondeur.

Cette réorganisation nécessaire n'a pas eu lieu et elle s'est achevée par une cessation de paiement...
Dans un premier temps, on a essayé de préserver la quasi-intégralité de Keyria via un plan de conciliation, qui a abouti en juillet2009. On avait prévu 25M€ et on en a injecté la moitié dès le mois d'août. Problème, au cours du troisième trimestre 2009, les marchés de Keyria ont à nouveau dévissé de 50%, ce qui fait que le besoin de financement du plan initial augmentait de 50%. Du coup, on n'a pas pu éviter la cessation de paiement d'un certain nombre de filiales opérationnelles françaises de Keyria. Elles sont au nombre de sept.

Mais vous avez conservé des filiales étrangères.
Nous avons regardé ce qui était encore économiquement viable. Les filiales, principalement allemandes et en particulier Keller, nous permettaient de construire un plan pour le futur.

Cette nouvelle division, Keller, que représente-t-elle au sein de Legris Industries?
Cela représente environ 100M€ de chiffre d'affaires pour 550 salariés, basés en Allemagne et en Italie.

Pourquoi conserver une activité dans la terre cuite alors que le marché est sinistré?
Nous sommes des investisseurs de long terme. Ce marché de l'ingénierie de la terre cuite, il y en a toujours besoin, y compris post-crise. On n'attend pas une sortie de crise de cette activité-là à court terme mais, je le répète, c'est un réinvestissement de long terme. En constituant Keller, on donne naissance au numéro2 de ce marché dans le monde. Et le retour à la profitabilité sera progressif.

Comment se sont comportées Savoye et Clextral en 2009, les autres divisions du groupe?
Les deux autres divisions du groupe ont très bien résisté à la crise. Clextral a maintenu un niveau de profitabilité de l'ordre de 4%, d'autant qu'en même temps, on a maintenu les efforts en R & D (4% du CA). Malgré la crise, on a fait le choix d'accompagner les divisions dans leurs projets de développement. Nous n'avons pas sacrifié le long terme au bénéfice du court terme. Clextral fera donc une bonne année 2010 et certainement une bonne année 2011. Elle va retrouver le chemin des 50M€ de chiffre d'affaires.

Et Savoye?
Savoye a un peu moins souffert en chiffre d'affaires en 2009 (-2%). Mais pour cette activité, il y a toujours un décalage entre la prise de commande et la réalisation. C'est donc plus en 2010 que Savoye va souffrir de la baisse de ses commandes. Pour Savoye, 2010 sera une année moins simple que 2009.

C'est-à-dire?
Très probablement avec un léger recul de l'activité.

Comment se situera le groupe en 2010?
2010 sera sans commune mesure à 2009. Depuis le 1erjanvier, on repart avec une nouvelle division (Keller), qui sera normalement à l'équilibre cette année. Mais ça va rester une année difficile, car les marchés ne sont pas repartis.

Ce qui se traduira par quel chiffre d'affaires?
À périmètre actuel, Legris Industries a réalisé un peu plus de 230M€ de chiffre d'affaires en 2009 (344M€ avec consolidation Keyria, ndlr). En 2010, le groupe se situera certainement entre 210 et 220M€, pour un niveau de profitabilité opérationnel pas loin de l'équilibre.

Vous évoquez dans votre rapport d'activité des opérations de croissance externe. Avez-vous déjà identifié des cibles?
Oui mais cela ne signifie pas pour autant que nous ferons affaire.

Quel est le profil de ces cibles?
Ce sont des entreprises qui viendront soit renforcer l'offre produit, soit renforcer les implantations géographiques. Côté Savoye, on a par exemple lancé un projet aux États-Unis en interne. Si on peut le renforcer en externe, on le fera. Pour Clextral, ce sera plus un renforcement de l'offre.

Dans quel délai ces opérations de croissance externe pourraient être réalisées?
Les sujets que l'on regarde peuvent aboutir dans les six mois qui viennent.

Vous avez également évoqué la création d'une quatrième division pour Legris Industries. Dans quel métier?
La cession de Legris SA (à Parker en 2008, ndlr) a permis de dégager de la trésorerie. Et cet argent n'est pas là pour rester placé dans des produits monétaires mais pour être réinvesti dans des activités industrielles. Nous recherchons donc des cibles d'abord dans des métiers industriels.

Dans quel secteur d'activités?
On est complètement ouvert, mais ça ne sera pas forcément dans l'ingénierie. Il est possible qu'on recherche des activités qui présentent des caractéristiques générant des cash-flows plus récurrents que ceux qu'on a aujourd'hui.

D'un point de vue financier, quel poids cela pourrait-il représenter?
On cherche à intégrer des activités se situant entre 100 et 200M€. Des activités au minimum de taille équivalente aux nôtres, et même plutôt de taille plus importante.

Vous êtes revenu dans le groupe Legris Industries en 2009 pour prendre la tête du directoire. Quel bilan tirez-vous, à titre personnel, de cette année?
On a vraiment traversé une tempête. Ça a été difficile, mais nous ne nous sommes pas reniés tout en protégeant le groupe. On a réussi à trouver un point d'équilibre permettant d'assumer notre rôle d'actionnaire responsable. Nous avons permis la reprise de sept des huit sites en difficulté et on est venu soutenir les mesures d'accompagnement des PSE (plans de sauvegarde de l'emploi) en y injectant un peu plus de 10M€.

Après avoir traversé cette crise, dans quel état d'esprit êtes-vous aujourd'hui?
C'est le sentiment du devoir accompli et de pouvoir tourner la page avant de partir à la conquête de nouvelles activités.